Les conclusions accablantes (et incomplètes) de la Vérificatrice générale sur les tarifs d’Hydro-Québec

La Vérificatrice générale du Québec a déposé hier son rapport annuel 2018, qui aborde entre autres la question des tarifs d’électricité d’Hydro-Québec.

Si les conclusions de ce rapport ne nous apprennent rien de bien nouveau, elles restent tout de même accablantes. D’abord pour Hydro-Québec qui, de 2005 à 2017, a réalisé des surplus de rendement de 1,5 milliard $ découlant d’écarts entre les prévisions d’Hydro, soumises à et acceptées par la Régie aux fins de la fixation des tarifs d’électricité, et les résultats réels. On en arrive à se demander si le distributeur a trouvé la formule magique qui lui a permis de rouler la Régie dans la farine pendant toutes ces années ou si la Régie fait constamment preuve d’une coupable complaisance. Ou encore, si cette situation inacceptable découle un peu des deux.

Bien sûr, une partie de ces surplus s’est retrouvée dans les coffres de l’État. Mais cet argent a été puisé dans les poches de tous, pauvres ou riches, par le biais des prix de l’électricité trop élevés. Or, l’électricité est un bien essentiel, et non un outil de taxation. Et elle ne doit pas l’être, puisqu’il s’agirait alors d’un outil éminemment régressif.

Le rapport est en outre accablant pour le gouvernement, qui a non seulement imposé à Hydro-Québec Distribution l’achat de blocs d’énergie provenant de sources spécifiques, comme l’éolien, plus onéreux, mais décrété de plus que les besoins de la clientèle québécoise devaient être comblés en priorité par l’électricité provenant de ces contrats plutôt que par l’électricité patrimoniale. Cela signifie notamment qu’Hydro-Québec Distribution doit prendre livraison de 3 TWh associés à un contrat post-patrimonial avec Hydro-Québec Production avant de pouvoir recourir à l’énergie du bloc patrimonial — fournie d’ailleurs par Hydro-Québec Production ! —, ce qui représente un coût annuel supplémentaire de près de 100 millions $.

La Vérificatrice estime qu’à elles seules, ces exigences gouvernementales ont coûté au distributeur 2,5 milliards de dollars entre 2009 et 2016, un montant qui a été inclus dans les tarifs d’électricité. À ces coûts d’approvisionnement supplémentaires déjà imposants s’ajoutent aussi plus de 1 milliard $ versés à Trans-Canada Énergie, pendant cette même période, pour maintenir fermée sa centrale de Bécancour.

À ceux qui argueraient que ces contrats ont permis le maintien d’emplois en région, rappelons que les tarifs d’électricité, qui sont les mêmes pour toutes les familles, peu importe leur revenu, ne doivent pas servir à soutenir la production privée et le développement des régions. Cela doit être réalisé à partir des budgets des ministères concernés.

Sur la période 2005-2017, les écarts de rendement réalisés par Hydro-Québec et la décision du gouvernement d’imposer des blocs d’énergie de sources spécifiques ont à eux seuls coûté quelque 4 milliards $ à l’ensemble des clients d’Hydro. En supposant que 50 % de ce montant ait été pris dans les poches des familles, cela représente près de 500 $ par famille sur la période. Si la Vérificatrice confirme que les écarts de rendement réalisés par Hydro-Québec et la décision du gouvernement d’imposer l’achat de blocs d’énergie de source spécifique ont entraîné ces coûts supplémentaires, elle passe sous silence le fait que cela constitue un enjeu majeur pour les familles.

Le rapport de la Vérificatrice aborde finalement la question de l’interfinancement dont bénéficie la clientèle résidentielle en vertu du Pacte social, mais elle le fait de façon décevante, puisqu’elle reprend essentiellement le discours de la Régie sur le sujet, incluant le fait qu’un interfinancement aussi généreux pour les clients résidentiels n’existe pas ailleurs. Elle ne dit pas un mot cependant sur le fait qu’au Québec on chauffe à l’électricité, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans d’autres juridictions. Pas un mot non plus sur le fait que les clients résidentiels supportent le déficit annuel des réseaux autonomes de quelque 200 millions $. Pas un mot sur le fait qu’ailleurs, les factures d’électricité peuvent être exemptées de taxes de vente…

La Vérificatrice rappelle aussi que la loi interdit bel et bien à la Régie de modifier le tarif d’une catégorie de consommateurs afin d’atténuer l’interfinancement entre les tarifs applicables à différentes catégories de consommateurs et que la réduction de l’interfinancement aurait un effet à la hausse sur les tarifs de la clientèle résidentielle. Elle omet toutefois de souligner que la Régie, en imposant des hausses uniformes aux différentes catégories de clientèle, fait trop souvent indirectement ce que la loi lui interdit de faire directement, et modifie effectivement l’interfinancement. C’est ce que la Vérificatrice aurait constaté si elle avait abordé l’interfinancement sur une base historique, soit de la même façon qu’elle a traité la plupart des thèmes de son rapport. Il est grand temps de voir à ce que les avantages de la production et de la distribution de l’électricité par notre société d’État, conformément au Pacte social conclu lors de la nationalisation de l’électricité, profitent aux familles québécoises d’abord.

L’objectif de la mise sur pied, en 1997, d’un organisme réglementaire indépendant du pouvoir politique était de dépolitiser les décisions entourant Hydro-Québec et de favoriser les meilleurs choix énergétiques et les meilleurs tarifs, au profit des Québécois et des clients d’Hydro. Le législateur a apporté au fil des ans des modifications qui ont eu pour effet de détourner la Régie de l’énergie de ces objectifs.

Les constats de la Vérificatrice générale, entre autres motifs, devraient suffire à convaincre l’ensemble des Québécois de l’importance d’une révision de la loi afin de permettre, voire d’imposer à la Régie de revenir à son mandat d’origine et d’assurer le respect du Pacte social.

 


 

Pour les détails du rapport concernant les tarifs d’Hydro-Québec, lire le chapitre 8