Budget fédéral 2023 : des gains et des oubliés

Union des consommateurs souhaite réagir au dépôt du budget fédéral 2023-2024 présenté par la ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland. UC accueille avec optimisme l’annonce de la mise en place graduelle d’un programme d’assurance dentaire qui couvrira à terme les ménages ayant un revenu brut de 90 000 $ et moins, mais demeure sceptique quant aux ambitions du gouvernement libéral exprimées dans son budget en matière de protection des droits des consommateurs. De même, l’absence de développements dans les dossiers de l’assurance médicaments et de l’assurance-emploi mène UC à qualifier le budget fédéral de premier pas, tout au plus.

 

La création d’un programme d’assurance dentaire : une occasion pour le Québec

UC félicite le gouvernement libéral pour son choix de s’engager graduellement dans la création d’un régime d’assurance dentaire qui permettrait à terme de répondre aux besoins de nombreux ménages qui ne bénéficient pas d’une couverture publique ou d’une assurance privée. Si les détails de ce programme restent à venir, il appert que les personnes âgées de moins de 18 ans, les personnes aînées et les atteintes d’un handicap seront couvertes dès 2023, ce qui est encourageant. De même, le choix d’investir 13 milliards de dollars sur une période de cinq ans (puis une somme récurrente de 4,4 milliards de dollars par année) démontre le sérieux du gouvernement.

Le fait que le programme visera à terme les ménages ayant un revenu de moins de 90 000 $ permettra d’assurer une frange importante de la population québécoise qui n’a ni les moyens de payer de sa poche les soins bucco-dentaires, ni accès à une couverture publique qui n’est présentement offerte qu’aux enfants et aux prestataires de la sécurité du revenu.

Nous suivrons avec attention les annonces à venir et nous nous engageons à jouer un rôle actif dans le processus de mise en place de ce régime, tant sur la scène fédérale que provinciale. UC espère d’ailleurs que le gouvernement Legault modérera la réponse exprimée jusqu’à maintenant envers un programme qui répond à un besoin véritable de la population québécoise.

 

Un « remboursement pour l’épicerie » ciblé, mais sans grande ambition

Bien qu’il s’agisse d’une mesure ponctuelle et qui n’attaque pas à la racine la question du prix du panier d’épicerie, UC souhaite tout de même saluer le fait que la mesure de remboursement proposée par le gouvernement libéral cible les bonnes personnes en se concentrant sur les ménages moins nantis. Il importe toutefois de souligner que ce montant qui grimpera tout au plus jusqu’à 467 $ pour les couples avec deux enfants, et à 234 $ pour les personnes seules sans enfant, soit, environ, entre 5 $ et 10 $ par semaine, aura un impact négligeable face aux contrecoups de l’inflation, qui a entraîné une augmentation moyenne de 10 % de la facture d’épicerie.

 

Frais cachés et obsolescence planifiée : des résolutions vagues et sans grand effet pour le Québec

Bien qu’UC approuve le besoin d’intervention législative en matière de droit à la réparation et d’interdiction des frais cachés, rappelons que ces questions relèvent principalement de domaines qui sont de compétence provinciale exclusive. En effet, la Loi sur la protection du consommateur (LPC) québécoise encadre déjà l’enjeu des frais cachés : la LPC interdit la réclamation des frais qui ne sont pas mentionnés dans le contrat de façon précise et la pratique qui consisterait à exiger un prix supérieur à celui qui est annoncé. Quant à la réparation, la LPC exige des commerçants qu’ils rendent les pièces de rechange et les services de réparation disponibles pendant une durée raisonnable pour les biens qui sont de nature à nécessiter un travail d’entretien. Il n’en demeure pas moins que cette initiative fédérale pourrait encourager les provinces à adopter des lois audacieuses qui permettront d’assurer la réparabilité et la longévité des biens.

 

Abaissement du taux d’intérêt criminel : les prêteurs ne tremblent pas

Le budget fédéral aborde également la question du taux d’intérêt criminel. Bien que nous apprécions que le gouvernement s’intéresse à ce problème, la situation actuelle exige une approche plus ambitieuse afin de mieux protéger les Canadiens des prêts à conditions abusives.

Le budget propose de réduire de 60 à 42 % le taux d’intérêt criminel (soit une réduction du taux annualisé de 47 à 35 %) ce qui demeure un taux extrêmement élevé, supérieur au taux de crédit considéré comme abusif au Québec par les tribunaux (35 %). De plus, l’interdiction de contracter un prêt à un taux d’intérêt supérieur au taux criminel ne s’applique pas aux types de prêts qui ont les conséquences parmi les plus graves pour les consommateurs, soit les prêts sur salaire. Ceux-ci pourront continuer d’être offerts à des taux qui excèdent largement le taux criminel, là où le législateur provincial l’autorise.

Pour véritablement protéger les consommateurs, le gouvernement fédéral doit encore abaisser le taux d’intérêt criminel, supprimer l’exemption du Code criminel pour les prêts sur salaire, et enfin, parce qu’il y aura toujours une demande pour les petits prêts, obliger les institutions financières à offrir des petits prêts à des taux d’intérêt raisonnables.

 

Frais d’interchange : des engagements insuffisants

Au cours des dernières années, les engagements volontaires des réseaux de carte de crédit n’ont pas eu les effets escomptés : les frais d’interchange n’ont pas connu au Canada la baisse dramatique observée dans les juridictions qui ont choisi de les encadrer, et ni la transparence ni l’équité n’ont été améliorées. À l’inverse, si l’on considère la méthode retenue par d’autres législations, la réglementation des taux pourrait, elle, contribuer à faire radicalement baisser les frais d’interchange en vigueur. Cela étant, il faudra bien sûr que le législateur soit ferme et qu’il ne se laisse pas aveugler par des arguments qui, sous prétexte d’avantages proposés aux consommateurs, ne visent en réalité qu’à maintenir des pratiques de commerce iniques et coûteuses. Nous invitons le gouvernement fédéral à encadrer les frais d’interchange, plutôt que de s’appuyer sur la bonne volonté des institutions financières qui sont les premières bénéficiaires de ces frais.

 

Assurance médicaments et assurance-emploi : de remarquables oubliés

UC ne peut passer sous silence l’absence de mesures liées à la réforme de l’assurance-emploi et à celle de l’assurance médicaments. La concrétisation de ces deux projets est donc encore une fois remise à demain. UC accueille avec déception l’absence d’un échéancier clair vers la création d’un régime pancanadien véritablement public et universel, et ce, alors que l’accès aux médicaments demeure un enjeu criant au Québec, comme au Canada. La création d’un tel programme, qui constitue l’une des pierres angulaires de l’entente PLC-NPD, ferait en sorte que le Canada se doterait enfin d’un programme d’assurance médicaments, et ce, tout en permettant au Québec de compléter la couverture bien perfectible offerte par son propre régime. Lors de sa participation au Lobby santé et espoir du Conseil canadien de la santé, UC a pu constater l’appétit de la société civile canadienne pour la création d’un régime d’assurance médicaments public et universel. Cette ambition se retrouve aussi au Québec, dont le régime d’assurance médicaments, bien qu’il demeure le plus complet des programmes canadiens, ne peut se targuer d’offrir une couverture adéquate.

En ce qui concerne la réforme de l’assurance-emploi, promise depuis 2015, elle a fait l’objet d’importantes consultations s’étalant sur près de deux années, qui ont réuni les parties syndicales et patronales, de même que les coalitions et les groupes de défense de droit des chômeurs. Nous trouvons donc regrettable que cette réforme soit de nouveau remise à plus tard.

 

UC restera attentive à l’étude des crédits et aux étapes à venir de la mise en place du régime d’assurance dentaire. Nous tâcherons d’offrir nos lumières tout au long du processus et de défendre le bien-fondé de ce nouveau programme. Nous espérons aussi que les mises à jour budgétaires à venir seront l’occasion pour le gouvernement de s’engager résolument dans les réformes nécessaires en matière d’assurance médicaments et d’assurance-emploi.