Article publié dans la revue À babord
Numéro 28 – février/mars 2009
La fiscalité est l’instrument privilégié pour parvenir à une plus grande justice sociale. Tout dépend cependant de la façon dont on l’utilise, car les choix fiscaux des gouvernements ont des effets bien réels sur la vie des gens. Prenons l’exemple suivant : Mme C. va rencontrer la conseillère budgétaire d’une Association coopérative d’économie familiale (ACEF), car elle voudrait que ses prestations de Soutien aux enfants du Québec augmentent puisque son revenu a diminué (elle est au chômage). Impossible : cette allocation est une mesure fiscale dont le montant d’aide est calculé à partir du revenu de l’année précédente, d’où le possible décalage entre les besoins et l’aide consentie. C’est la fiscalité « en action » qui est ainsi vécue au quotidien par les gens.
Il est inquiétant de constater la tendance des gouvernements à privilégier les dépenses fiscales au détriment des programmes sociaux. En effet, l’aide semble de plus en plus prendre la forme de crédits d’impôts de toutes sortes : pour la participation des enfants à des activités physiques, pour les frais de garde, pour les cartes mensuelles de transport en commun… Dans ce dernier exemple, les gouvernements font le choix d’aider les ménages qui achètent des titres mensuels alors que, faute de financement adéquat, les sociétés de transports doivent hausser leurs tarifs. Comme il s’agit de crédits d’impôts non remboursables, les personnes dont les revenus sont trop bas pour payer de l’impôt (elles sont près de 40 % !) ne profitent pas de ces mesures.
Par cette « fiscalisation » des mesures sociales, nos gouvernements se privent volontairement d’une partie de leurs revenus et ont donc beau jeu de laisser croire qu’ils n’ont plus les moyens d’investir dans des programmes qui améliorent les conditions de vie et contribuent à la justice sociale. Selon le Conseil de la famille et de l’enfance, il s’agit de 19 milliards de dollars dont le gouvernement québécois s’est privé en 2007 à cause de 287 dépenses fiscales. Vaut-il mieux que les ménages de la classe moyenne reçoivent individuellement 50 $ de crédit d’impôts pour le transport en commun ou investir les sommes équivalentes pour améliorer et maintenir l’accessibilité du transport en commun ?
Des années d’action et d’éducation en matière de finances personnelles et d’endettement des ménages confirment que les orientations fiscales peuvent aussi bien refléter nos valeurs que s’en éloigner… Les difficultés financières vécues par certaines tranches de la population amènent ainsi à revendiquer que l’impôt sur le revenu constitue la base du régime fiscal et que, conséquemment, les taxes à la consommation soient abolies sur les biens et services essentiels (électricité, combustibles de chauffage, vêtements d’enfants, matériel scolaire, produits de santé…). Des années d’analyse des budgets gouvernementaux font aussi souhaiter un retour à plus de paliers d’imposition : au provincial, les trois paliers actuels imposent une charge fiscale démesurée pour les ménages de la classe moyenne tout en n’exigeant pas assez des ménages nantis (imposés à 24 % qu’ils gagnent 75 000 $ ou 250 000 $). Il faudrait en outre que cesse l’évasion fiscale afin que les charges aux entreprises soient perçues.
La fiscalité relève de choix éminemment politiques et reflète nos valeurs. Il s’agit en fait de l’un des principaux outils s’offant à l’État pour qu’il joue son rôle fondamental : aplanir les inégalités afin d’assurer le mieux-être et la sécurité de la collectivité. De tout temps, des contributions en nature et en espèces ont été exigées en contrepartie de certains services : c’est grâce aux contributions de chacun d’entre nous si nous profitons aujourd’hui non seulement de routes et d’une eau potable, mais aussi d’un système d’éducation et de santé (malheureusement de moins en moins) gratuit et universel.
Nous aurions pu faire le choix de laisser les individus se débrouiller, comme aux États-Unis, avec des primes d’assurance santé privées de 12 000 $ par année. Nous avons plutôt opté pour un système fiscal qui redistribue la richesse en tissant un large filet social. Il est de notre devoir de protéger et d’améliorer ce système, si nous y croyons encore. Le « fardeau fiscal » est une expression inventée par ceux qui veulent mettre la main sur des marchés lucratifs en tentant de convaincre la population qu’ils paient trop d’impôts alors qu’ils débourseraient davantage s’ils devaient assumer eux-mêmes le coût de leur éducation ou de leurs soins de santé aux tarifs du privé. Réfléchissons à cette obsession des baisses d’impôts comme le remède à tous les maux en citant Lord Dewar : « Il y a une chose pire que de payer l’impôt sur le revenu, c’est de ne pas en payer. »
Originalement publié dans la revue
Dans le dossier: Fiscalité équitable et justice sociale
À babord
Numéro 28 – février/mars 2009