Montréal – 20 octobre 2014 – La Régie de l’énergie a rendu dernièrement une décision qui reconnaît le droit du gouvernement d’imposer à la division Distribution d’Hydro-Québec (HQD) l’achat de 450 mégawatts d’énergie éolienne, forçant de ce fait HQD et ses clients à renoncer à l’acquisition de l’électricité beaucoup moins chère issue du bloc patrimonial. La décision révèle du fait même l’incapacité de la Régie de minimiser les tarifs en veillant à ce qu’HQD utilise les sources d’approvisionnements les moins coûteuses.
Le bloc d’électricité patrimoniale, soit la quantité d’électricité produite par les barrages dont les coûts sont pour la plupart amortis, témoigne du succès de la nationalisation de l’électricité au Québec et en constitue l’héritage. Les coûts de ces installations ayant déjà été payés par les Québécois, la reconnaissance du bloc d’électricité patrimoniale devait constituer le principal rempart des consommateurs contre les hausses des tarifs. À juste titre, le bloc d’électricité patrimoniale doit être considéré comme un acquis social.
Le rôle de la Régie devrait être de veiller à ce que les clients d’HQD ne paient que le coût de l’électricité qui répond à leurs besoins. Or, en forçant HQD à s’approvisionner auprès de producteurs privés (à des prix variant de 9 à 12 ¢/kWh), le gouvernement impose à la clientèle québécoise l’achat prioritaire d’une électricité trop coûteuse; ce n’est que le reste de leurs besoins qui seront comblés par le bloc d’électricité patrimoniale à un prix beaucoup plus abordable (3 ¢/kWh). Et la Régie de l’énergie abdique aujourd’hui, sa récente décision reconnaissant qu’elle n’y peut rien. Le coût des approvisionnements en électricité des consommateurs québécois ne s’évaluera plus en tenant compte de la plus grande utilisation possible du bloc d’électricité patrimoniale, puisque le gouvernement peut maintenant empêcher la Régie, qui devrait pourtant être un tribunal indépendant, de veiller à ce qu’HQD utilise d’abord l’électricité la moins chère.
En statuant que le pouvoir du gouvernement de forcer la clientèle québécoise à s’approvisionner d’abord à d’autres sources et de restreindre pour les consommateurs québécois l’accès au bloc d’électricité patrimoniale n’est subordonné à aucun examen d’opportunité par la Régie, cette dernière met un terme aux idées portées par le consensus social qui avait mené à la création du tribunal de régulation économique en 1995 et qui avait servi d’assise à la Stratégie énergétique du Québec l’année suivante.
Il est vrai que les nombreuses modifications législatives apportées à la loi constitutive de la Régie quelques années plus tard ont considérablement amenuisé ses pouvoirs et compétences, suite à la perte de sa juridiction sur la production et les exportations d’électricité, sacrifiée aux impératifs de la déréglementation des marchés. Le contrôle de ces activités rentables est ainsi retourné sous la mainmise de l’État, ce dernier n’hésitant pas par la suite à en transférer les bénéfices à des intérêts privés, notamment dans les filières éolienne et de la petite hydraulique.
L’État actionnaire s’est également donné le droit de fixer lui-même le montant des charges d’exploitation qui doivent être récupérées dans les tarifs d’électricité, une tâche à laquelle un organisme de régulation économique devrait pourtant normalement exceller : la Régie pourrait devoir tenir compte, pour l’établissement des tarifs, non plus des coûts réels des charges d’exploitation, mais d’un montant arbitrairement fixé par le gouvernement.
L’actuel gouvernement a aussi déclaré son intention de s’accaparer, en dépit de ce qu’avait décidé le tribunal, les trop-perçus du monopole public, soit les profits que l’entreprise réalise au-delà de ceux que la Régie a jugés justes et raisonnables. Ces trop-perçus constitués par l’accumulation de ce que les clients d’HQD ont payé en trop sur leurs factures d’électricité des années précédentes, et qui représentent des montants colossaux (plus d’un milliard $ depuis 2008), ne pourront donc pas être utilisés afin d’amoindrir les hausses galopantes des tarifs, ce qui pénalisera particulièrement les usagers à faible ou modeste revenu pour qui le fardeau du paiement de la facture d’électricité est pourtant bien réel.
En l’espace de deux décennies, les gouvernements successifs auront su miner les assises législatives et habilitantes de la Régie tant et si bien qu’elle affirme aujourd’hui ne pas être en mesure d’assumer les rôles pour lesquels elle avait été créée. Dans ce contexte, il ne faut pas se surprendre que les 800 millions $ additionnels demandés par HQD pour 2015, et qu’elle propose d’étaler en partie, moyennant intérêts, jusqu’en 2020, généreraient la hausse tarifaire la plus élevée en plus de trente ans. Une révision en profondeur de la Loi sur la Régie de l’énergie, à la suite d’un débat transparent, est plus que jamais nécessaire.