(Lettre parue dans Le Droit, le 30 janvier 2019)
L’année 2019 sera celle du dernier budget de votre mandat. Les 10 dernières années ont été marquées par des scandales médiatiques qui ont révélé l’ampleur du problème des paradis fiscaux et l’aisance avec laquelle les entreprises multinationales et les grandes fortunes évitent l’impôt : l’affaire KPMG, les Panama et les Paradise Papers ou les Offshore, Lux et SwissLeaks.
Aussi, la lutte contre les paradis fiscaux devrait être une priorité dans le prochain budget, comme le soulignent des économistes québécois dans un récent sondage. Pourtant, alors que vous prétendez défendre les intérêts de la classe moyenne, peu de gestes concrets ont émergé en vue d’une véritable stratégie de lutte contre les paradis fiscaux.
Malgré les quelques mesures prises au fil des années, comme des investissements à l’Agence du revenu du Canada (ARC) et la Cour canadienne de l’impôt, l’élimination de certaines dispositions fiscales ou la participation aux travaux internationaux visant à augmenter la collaboration entre pays, le Canada reste à la traîne en matière de justice fiscale.
Pour ne citer qu’un exemple, votre gouvernement continue de légaliser le recours aux paradis fiscaux en signant de nouvelles conventions fiscales avec ceux-ci, comme Antigua‑et‑Barbuda et Grenade en 2018. Ces conventions permettent aux entreprises de rapatrier leurs profits sous forme de dividendes exonérés d’impôt au Canada. Il s’agit d’une contravention flagrante avec la motion adoptée en mai 2017 par la Chambre des communes, qui condamnait les pratiques d’évitement fiscal et la complaisance de telles conventions.
Votre gouvernement détient pourtant les pleins pouvoirs pour s’attaquer au fond du problème. Qu’attend-il pour agir ? Du propre aveu des vérificateurs de l’ARC, le système fiscal canadien avantage les fortunes et les entreprises. À quand une bonification significative des moyens dont dispose l’ARC ?
Qu’attend le Canada pour criminaliser le recours aux pratiques d’évitement fiscal et pour mener une révision des lois fiscales ?
Qu’est-ce qui retient le Canada de taxer les profits détournés par les multinationales dans des paradis fiscaux et d’imposer adéquatement l’économie numérique ?
Pourquoi n’ose-t-il pas imposer les activités économiques des entreprises là où elles sont réalisées, plutôt que de laisser ces dernières déclarer leurs revenus dans des paradis fiscaux ?
La population canadienne n’est pas dupe. Elle voit bien qu’être riche au Canada signifie pouvoir se soustraire légalement à l’impôt par le biais des paradis fiscaux. Jusqu’à présent, l’ARC n’a porté aucune accusation dans le cadre des Panama Papers, alors que d’autres pays ont déjà récupéré près de 500 millions $. Quant à la triste affaire KPMG, nous sommes toujours scandalisés qu’aucune enquête criminelle n’ait été annoncée.
Malheureusement, ces dernières années, votre gouvernement s’est contenté de réagir en faisant le strict minimum. Il refuse même d’utiliser publiquement le terme paradis fiscal, signe éclatant d’un déni !
Le Canada doit devenir un leader de la lutte contre les paradis fiscaux. Les exemples internationaux d’initiatives prometteuses ne manquent pas pour vous inspirer. Le Royaume-Uni a fait figure de pionnier en implantant en 2016 une taxe sur les profits détournés vers les paradis fiscaux (ou Google Tax) et un registre public des bénéficiaires ultimes des entreprises afin d’augmenter la transparence corporative. L’Australie et l’Union européenne ont aussi adopté des mesures intéressantes inspirées du Royaume‑Uni. Même le Québec s’est engagé à lutter contre l’évitement fiscal international.
Votre prochain budget est le moment pour annoncer un virage clair de votre gouvernement en matière de lutte contre les paradis fiscaux s’il est sincère quant à sa prétention de défendre la classe moyenne et la justice fiscale. Pour cela, le Canada a besoin que tous les contribuables observent pleinement leurs charges fiscales. Notre société doit soigner, instruire et desservir adéquatement sa population, fournir un cadre fiscal équitable pour les entreprises et les contribuables, et engager une transition économique, écologique et énergétique pour répondre aux défis de notre époque.
Membres du collectif Échec aux paradis fiscaux :
Carolle Dubé,
Présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux
Lise Lapointe,
Présidente de l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec
Luc Vachon,
Président de la Centrale des syndicats démocratiques
Sonia Éthier,
Présidente de la Centrale des syndicats du Québec
Jacques Létourneau,
Président de la Confédération des syndicats nationaux
Sylvain Mallette,
Président de la Fédération autonome de l’enseignement
Daniel Boyer,
Président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
Nancy Bédard,
Présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
Denis Bolduc,
Président du Syndicat canadien de la fonction publique Québec
Christian Daigle,
Président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec
Richard Perron,
Président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec
Jean-Marie Lafortune,
Président de la Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université
Guillaume Lecorps,
Président de l’Union étudiante du Québec
Claude Vaillancourt,
Président d’ATTAC-Québec
Gérald Larose,
Directeur du développement stratégique de la Caisse d’économie solidaire
Élisabeth Gibeau,
Analyste politiques sociales et fiscales de l’Union des consommateurs
Michel Leclerc,
Les Amis de la Terre
Fred-William Mireault,
Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec
Alain Deneault,
Auteur de « Paradis fiscaux : la filière canadienne »