Transition énergétique – Billet #1

Hausser les tarifs d’électricité pour réduire la consommation résidentielle: une fausse bonne idée? 

Ce billet est le premier de deux fiches sur les tarifs d’électricité québécois dans un contexte de transition énergétique. Il rectifie deux mythes couramment répandus : d’une part, l’idée selon laquelle les Québécois sont de grands consommateurs d’électricité et, d’autre part, la croyance qu’une augmentation des tarifs résidentiels permettrait de réduire cette consommation. La seconde fiche traitera du financement de la transition énergétique et proposera des solutions alternatives aux tarifs d’électricité pour atteindre cet objectif. 


Lorsqu’ils ont été interrogés sur l’impact tarifaire de la transition énergétique, Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, et Michael Sabia, PDG d’Hydro-Québec, ont tous les deux indiqué que les tarifs d’électricité allaient nécessairement augmenter. Le premier affirme que les Québécois sont « derniers de classe » en matière de consommation d’énergie et qu’une hausse des tarifs permettra à Hydro-Québec d’avoir une meilleure marge de manœuvre. Il ajoute que, à la suite d’une brève période d’éducation sur la consommation énergétique, les tarifs d’électricité seront utilisés comme un « bâton » afin d’inciter la population à réduire cette consommation. M. Sabia exprime des vues similaires, affirmant que les tarifs devront augmenter pour que le caractère précieux de l’électricité soit reconnu.   

En résumé, il est question d’augmenter arbitrairement les tarifs d’électricité afin d’inciter la population québécoise à réduire sa consommation. Cela marque un changement important dans la gestion de l’électricité au Québec : le passage de l’électricité perçue comme un service public essentiel dont la tarification est basée sur les coûts de service (avec taux de rendement raisonnable) à un modèle où l’électricité est considérée comme un simple bien de consommation, associé à un principe de tarification incitative[1]. 

Pourtant, l’augmentation des tarifs d’électricité n’est ni une mesure efficace de transition énergétique ni une fatalité. Pour mieux comprendre les limites de cette approche, examinons la situation à travers deux questions fondamentales. Pourquoi la consommation moyenne d’électricité du Québec est-elle si élevée ? Et les signaux-prix pour l’électricité seraient-ils efficaces ? 

 

POURQUOI LA CONSOMMATION MOYENNE D’ÉLECTRICITÉ DU QUÉBEC EST-ELLE SI ÉLEVÉE ? 

Un premier problème avec l’idée d’augmenter les tarifs d’électricité résidentiels pour réduire la consommation moyenne d’énergie du Québec réside dans le fait qu’il s’agit d’une erreur de cible. 

Il est courant d’entendre que les Québécois sont de grands consommateurs d’électricité, mais on accorde rarement une attention suffisante aux causes de cette forte consommation. Les données issues de l’État de l’énergie au Québec sont la référence sur cette question (voir graphique 1); pourtant celles-ci montrent clairement que ce sont principalement l’industrie et le transport qui sont responsables de la grande consommation énergétique par habitant au Québec. En somme, il est erroné de blâmer les Québécois pour leur consommation résidentielle d’électricité et de les pénaliser par le biais d’une hausse des tarifs électriques, sous prétexte que le Québec affiche une consommation énergétique moyenne très élevée (toutes sources confondues), car ce sont l’industrie et le transport qui contribuent le plus à cette moyenne. 

Graphique 1. Comparaison de la consommation énergétique par habitant du Québec avec celle d’autres pays, 2021, en gigajoule (GJ) 

Source. Whitmore, J. et Pineau, P.-O., 2024. État de l’énergie au Québec 2024, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le gouvernement du Québec, fait à partir de AIE, 2023; sauf * pour le Québec et l’Ontario, Statistique Canada, 2023 (tableau 25-10-0029-01).

 

En effet, bien que des gains d’efficacité soient possibles dans la consommation résidentielle, celle-ci est comparable à celle d’autres régions présentant un climat et une économie comparables au Québec. Le volet résidentiel n’est donc pas la cause de notre consommation élevée par habitant : il faut plutôt se pencher sur le transport et l’industrie pour comprendre la consommation moyenne d’énergie au Québec et la réduire.  

En ce qui concerne le transport, si le Québec consomme généralement moins d’énergie par habitant que le reste du Canada ou les États-Unis, la consommation moyenne québécoise est cependant près de 80 % plus élevée que celle de pays tels que l’Allemagne et la Suède (voir tableau 1). La grande consommation énergétique liée au transport au Québec s’explique principalement par le nombre moyen de véhicules par habitant (qui a triplé depuis les années 1970) et la taille croissante de ceux-ci (les deux tiers des véhicules immatriculés en 2023 étaient des VUS). De plus, la montée fulgurante de la livraison de marchandises, notamment liée à l’essor du commerce en ligne, contribue également à une augmentation du nombre de véhicules et de la consommation de carburant.  

Le secteur qui fait toutefois le plus grimper la consommation moyenne d’énergie au Québec est, de loin, le secteur industriel : la consommation énergétique de ce secteur est 67 % plus élevée qu’en Ontario, 132 % plus élevée qu’en Allemagne et 282 % plus élevée que la moyenne mondiale. À titre de comparaison, la consommation résidentielle d’énergie des Québécois n’est que 6 % plus élevée que celle de la Norvège ou de la Suède – deux pays ayant un climat similaire à celui du Québec et n’est que 17 % plus élevée que celle de l’Allemagne 

Tableau 1. Différence entre la consommation d’énergie par habitant au Québec et celle d’autres régions, selon le secteur d’activité* 

Source. Données adaptées à partir de WHITMORE, J. ET PINEAU, P.-O., 2024. ÉTAT DE L’ÉNERGIE AU QUÉBEC 2024, CHAIRE DE GESTION DU SECTEUR DE L’ÉNERGIE, HEC MONTRÉAL, PRÉPARÉ POUR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC.

* Le pourcentage exprimé représente l’écart (négatif ou positif) de la consommation moyenne d’énergie du Québec par rapport à la région indiquée sur la ligne. Ainsi, par exemple, le Québec consomme 67 % plus d’énergie que l’Ontario dans le secteur industriel.

L’ampleur de la consommation énergétique du secteur industriel s’explique principalement par l’utilisation des bas tarifs d’électricité pour encourager le développement d’industries très énergivores, notamment les alumineries et les pâtes et papiers[2]. D’autres domaines d’activité énergivores ont aussi naturellement choisi le Québec pour la même raison, dont le minage de cryptomonnaie et les centres de données. Cette tendance historique se reproduit aujourd’hui, alors que le gouvernement courtise les filières de la batterie et de l’hydrogène, deux secteurs particulièrement énergivores, en faisant miroiter une électricité verte et des tarifs industriels « au moins deux fois plus bas que dans la majorité des pays occidentaux »[3].

On observe ainsi une tendance persistante où les bas tarifs d’électricité d’Hydro-Québec sont utilisés pour attirer des industries énergivores, alimentant ainsi la forte consommation moyenne d’énergie au Québec. Cela soulève une contradiction : d’une part, le gouvernement cherche à réprimander la consommation énergétique des Québécois en augmentant les tarifs résidentiels, mais d’autre part, il continue à offrir des tarifs avantageux à l’industrie, ce qui ne fait que gonfler la consommation moyenne d’électricité par habitant. La consommation moyenne d’électricité augmentera donc au même moment que les tarifs, contredisant ainsi l’objectif d’encourager un changement de comportement chez les Québécois à partir des tarifs d’électricité. Par conséquent, à moins d’imposer une tarification plus dissuasive à l’industrie plutôt qu’au résidentiel, le Québec pourra difficilement atteindre sa cible de réduction de la consommation énergétique par habitant. 

Pour résumer, l’augmentation des tarifs résidentiels dans le but de réduire la consommation énergétique moyenne des Québécois est inefficace, car ce sont le transport et l’industrie qui contribuent le plus à cette moyenne. Il n’en reste pas moins souhaitable de diminuer aussi la consommation résidentielle d’électricité. À ce titre, l’augmentation de l’efficacité énergétique des bâtiments, notamment celle des logements locatifs, est de loin l’option la plus intéressante. 

 

L’UTILISATION DE SIGNAUX-PRIX POUR L’ÉLECTRICITÉ SERAIT-ELLE EFFICACE ? 

Un deuxième problème avec l’idée d’augmenter les tarifs d’électricité résidentiels pour réduire la consommation moyenne d’énergie au Québec réside dans le fait que le signal serait envoyé sur la mauvaise source d’énergie, en plus d’être vraisemblablement inefficace. 

L’idée selon laquelle une augmentation des tarifs d’électricité est nécessaire pour encourager la réduction de la consommation repose sur le concept de signal-prix. Selon cette théorie économique, le prix d’un bien ou d’un service envoie un signal aux consommateurs, indiquant la rareté et la valeur de cette ressource. Cependant, tous les biens et services ne réagissent pas de la même manière aux variations de prix en raison de l’élasticité de la demande, soit le degré de variation de la demande indue par une variation du prix. 

La demande est généralement hautement élastique pour des biens de luxe ou facilement substituables. À l’opposé, la demande est inélastique quand les changements de prix n’affectent pas significativement la demande, ce qui est souvent le cas pour des biens essentiels peu substituables à court terme. Par exemple, une augmentation du prix du papier de toilette ne devrait pas significativement diminuer sa consommation, tandis que le prix des billets d’avion affecte plus nettement la demande. 

Dans le cas de l’électricité résidentielle, il s’agit d’un bien à faible élasticité de la demande, car elle est difficilement substituable à court terme et répond principalement à des besoins essentiels comme se chauffer, fournir de l’eau chaude, réfrigérer et cuire des aliments, permettre l’accès à internet et bien plus. Rappelons ici que 75 % de la consommation d’électricité résidentielle est destinée au chauffage du bâtiment et de l’eau[4].   

De surcroît, la demande résidentielle en électricité est souvent conditionnée par des facteurs qui échappent au contrôle des individus, comme l’enveloppe thermique des bâtiments et les conditions climatiques. 40 % des Québécois sont locataires et n’ont donc aucun contrôle sur l’efficacité énergétique de leur logement, et même pour les propriétaires, le coût des rénovations écoénergétiques peut représenter une dépense trop importante en cette période de crise du coût de la vie. Ces facteurs limitent la capacité des ménages d’ajuster leur consommation en fonction des variations de prix. Cette faible élasticité de la demande rend donc peu probable une réduction significative de la consommation électrique résidentielle des Québécois induite par une augmentation des tarifs. 

Mais une seconde raison justifie de renoncer aux signaux-prix pour la consommation résidentielle d’électricité : le signal serait tout simplement mal dirigé. En effet, la transition énergétique est un processus de transformation radicale de nos systèmes de production et de consommation d’énergie dans le but de décarboner nos activités socioéconomiques. L’objectif principal de cette transition est de transformer la consommation de sources carbonées d’énergie (pétrole, gaz naturel, charbon, mazout) en consommation de sources décarbonées (hydroélectricité, éolien, solaire, géothermie). S’il est souhaitable de réduire la demande générale en énergie, cela ne devrait pas s’effectuer aux dépens de l’objectif premier de la transition énergétique : diminuer la consommation d’énergies fossiles.  

Par conséquent, si un signal-prix doit être utilisé pour réduire la consommation d’énergie, celui-ci devrait être envoyé sur les énergies fossiles plutôt que sur l’électricité. Actuellement, les gouvernements à travers le monde s’efforcent de promouvoir davantage l’utilisation d’électricité provenant de sources renouvelables dans leur mix énergétique. Dans ce contexte, l’approche du Québec apparaît particulièrement incongrue, car la lutte contre les changements climatiques —raison première de la transition énergétique— nécessite d’abord de réduire la consommation d’énergies fossiles et non pas celle d’électricité produite à partir de sources renouvelables. 

Le Québec est aujourd’hui dans une position avantageuse en raison du fait que son électricité est déjà presque entièrement de sources décarbonées. Il ne faut toutefois pas oublier que plus de la moitié de la consommation énergétique de la province provient encore d’énergies fossiles, et que c’est cette consommation que la transition énergétique doit adresser en premier lieu. 

 

CONCLUSION 

Alors que la proposition d’augmenter les tarifs d’électricité pour encourager les Québécois à réduire leur consommation d’énergie est discutée, il est crucial d’examiner les véritables effets de cette mesure. Le constat est clair : dans un contexte où ce sont principalement le transport et l’industrie qui expliquent la consommation moyenne élevée d’énergie du Québec, l’augmentation des tarifs résidentiels d’électricité vise la mauvaise cible. D’autant plus que l’orientation actuelle du gouvernement, axée sur le développement d’industries énergivores, entraînera inévitablement une augmentation de la consommation moyenne d’énergie au Québec, que les tarifs résidentiels augmentent ou non. De plus, étant donné que l’électricité est un service essentiel et difficilement substituable pour les ménages, une hausse des tarifs n’aurait qu’un impact limité sur la demande. Il serait certainement plus bénéfique de prioriser des projets de rénovations écoénergétiques des résidences pour atteindre cet objectif. 

La conséquence la plus important à considérer concernant l’augmentation des tarifs d’électricité résidentiels est la hausse de la précarité énergétique, c’est-à-dire la difficulté pour certains ménages de répondre à leurs besoins énergétiques ou la nécessité de sacrifier d’autres besoins essentiels (ex. l’alimentation) pour y parvenir. 

Cela étant dit, le processus de transition énergétique est en cours et, même sans l’introduction de signaux-prix, les tarifs d’électricité pourraient être impactés à la hausse. Nous aborderons cette question dans une seconde fiche, en plus de proposer des solutions concrètes pour financer la transition énergétique du Québec autrement que par la facture d’électricité des ménages. Il est à la fois possible et souhaitable de transformer le système énergétique du Québec sans passer par une augmentation importante des tarifs d’électricité, à condition cependant de planifier soigneusement cette transition et de mettre en œuvre des mesures ambitieuses visant le bien-être général de l’ensemble de la population avant les intérêts industriels. D’ailleurs, il importe de ne pas perdre de vue que le développement économique ne fait sens que s’il contribue au bien-être collectif. Si celui-ci se réalise aux dépens des ménages, il rate alors la cible. C’est pourquoi l’attribution de notre capacité énergétique collective doit faire l’objet d’un dialogue avec la population; or, ce dialogue semble actuellement absent des cartons du gouvernement. 


[1] Sur le passage de l’électricité en tant que service public essentiel à l’électricité comme bien de consommation, voir Marie-Claude Prémont, « L’hydroélectricité du Québec sous tension » dans La révolution tranquille 60 ans après (dir. Paquin, Stéphane et Hubert Rioux), Les presses de l’Université de Montréal, 2022. Sur la transformation du principe de la tarification de l’électricité, voir Vérificateur général du Québec, « Établissement des tarifs d’électricité d’Hydro-Québec et autres sujets d’intérêt », Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2018-2019, mai 2018.

[2] Marie-Claude Prémont, « L’hydroélectricité du Québec sous tension » dans La révolution tranquille 60 ans après (dir. Paquin, Stéphane et Hubert Rioux), Les presses de l’Université de Montréal, 2022; Marie-Claude Prémont, « Pechiney in Becancour: altering the course of aluminum production in Quebec », Cahier d’histoire de l’aluminium, 2 :69, 2022.

[3] Hydro-Québec, Vers un Québec décarboné et prospère. Plan d’action 2035, 2023, p. 3.

[4] Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, État de l’énergie au Québec 2024, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le gouvernement du Québec, 2024.