L’électricité est un service essentiel, indispensable pour chauffer et rafraîchir les logements, utiliser des électroménagers, accéder à Internet, cuisiner, et bien plus. Dès sa création, Hydro-Québec s’est vu confier la mission de rendre ce service accessible et abordable pour tous les Québécois.
L’un des dispositifs mis en place pour favoriser l’accessibilité est l’interfinancement des tarifs d’électricité, un acquis social depuis 1962, protégé par la loi, qui est pourtant aujourd’hui menacé par le projet de loi 69 sur l’énergie. Mais l’interfinancement, qu’est-ce que c’est et pourquoi pourrait-il disparaître ? Pour protéger et défendre, il faut d’abord comprendre : petit cours d’interfinancement 101.
L’interfinancement, c’est quoi ?
L’interfinancement est une pratique tarifaire où certains groupes d’utilisateurs paient plus que d’autres afin de subventionner un service. Au Québec, ce mécanisme permet de faire payer par les consommateurs industriels et commerciaux une partie des coûts des services d’électricité destinés aux ménages.
Ne vous y trompez pas : l’industrie bénéficie de tarifs bien inférieurs à ceux des ménages, tandis que les commerces paient des tarifs similaires. Cependant, il est plus coûteux pour Hydro-Québec d’approvisionner les clients résidentiels, qui consomment moins, individuellement, qu’une entreprise, et qui sont plus dispersés géographiquement. Le coût des infrastructures par unité d’électricité livrée est donc plus élevé. L’interfinancement porte ainsi sur les coûts d’approvisionnement de chaque catégorie de clients prise de manière isolée, et non sur le coût de l’électricité en soi.
D’où ça vient ?
Ce mécanisme découle du pacte social entre les Québécois et le gouvernement, qui a investi des fonds publics pour développer Hydro-Québec, permettant en contrepartie d’offrir une électricité fiable et abordable sur l’ensemble du territoire. Grâce à ce pacte, l’État québécois est devenu le seul actionnaire d’Hydro-Québec. Les intérêts de la population québécoise en matière de tarifs d’électricité ont ensuite été protégés, notamment par le maintien, jusqu’à tout récemment, de tarifs basés sur le coût de service et par l’établissement d’un interfinancement.
L’interfinancement, c’est bien ?
L’interfinancement est parfois critiqué pour les distorsions économiques qu’il crée et parce qu’il impose aux consommateurs industriels et commerciaux de subventionner les ménages, leur permettant ainsi de payer l’électricité à un prix inférieur à celui qu’ils devraient autrement assumer. Pour cette raison, certaines personnes préconisent une tarification plus élevée pour les ménages, pour les inciter à réduire leur consommation énergétique, et réclament la fin de l’interfinancement, pour renforcer l’attractivité économique du Québec auprès des entreprises.
En réponse à ces critiques, plusieurs soutiennent qu’il est normal que la population québécoise bénéficie de tarifs préférentiels, considérant qu’il s’agit d’un juste retour sur l’investissement public ayant permis la création d’Hydro-Québec. De plus, les clients industriels et commerciaux d’Hydro-Québec bénéficient d’avantages que les consommateurs résidentiels n’ont pas : exemptions de taxes, consommation d’électricité déductible d’impôts, et subventions pour la consommation d’électricité. En somme, bien que les ménages bénéficient de l’interfinancement, celui-ci est loin de procurer des avantages à l’échelle de ceux qui sont accordés aux entreprises.
Enfin, pour Union des consommateurs, augmenter les tarifs d’électricité des ménages n’est pas la bonne solution pour réduire leur consommation comme nous l’avons expliqué dans un billet précédent. Puisque, pour les ménages, la majeure partie de l’électricité est destinée à des besoins de base comme se chauffer, il est difficile, voire impossible pour eux de réduire cette consommation: leur besoin de se chauffer ne diminuera pas parce que l’électricité est plus chère. Imposer des hausses tarifaires généralisées pour punir la soi-disant surconsommation d’électricité des ménages, ce serait comme d’imposer une taxe sur tous les aliments pour dissuader l’achat de foie gras : une mesure inefficace et insensible aux conséquences pour les plus vulnérables.
La menace du projet de loi 69
Bien qu’il soit théoriquement protégé par la loi, le taux d’interfinancement s’est considérablement érodé au fil des années. Alors que les ménages payaient environ 81 % de leurs coûts pour leurs services d’électricité résidentiels au début des années 2000, cette proportion a grimpé à environ 86 % en 2022. Ces quelque 5 % représentent plusieurs centaines de millions de dollars supplémentaires payés par les ménages chaque année.
Et maintenant, le projet de loi 69 sur l’énergie, déposé par le ministre Pierre Fitzgibbon, propose de permettre la fin de l’interfinancement sur simple recommandation du gouvernement. Cette disposition constitue une épée de Damoclès menaçant la pérennité de l’interfinancement, dont l’importance était telle pour le maintien du pacte social que son existence et son indice étaient protégés par la loi!
Pourquoi défendre l’interfinancement ?
L’interfinancement joue un rôle crucial dans la réalisation d’objectifs sociaux plus larges, en favorisant l’inclusion sociale grâce à l’accès à une électricité abordable pour tous. Vivre sans électricité ou avec une quantité insuffisante d’électricité pose un problème pour la satisfaction de nombreux besoins essentiels.
D’autre part, si la tendance actuelle se maintient, des augmentations tarifaires significatives attendent les ménages dans les prochaines années, notamment en raison du développement de nouvelles filières industrielles énergivores, ce qui générera une demande supplémentaire pour de l’électricité plus coûteuse à produire. Si aucune mesure n’est prise, nous nous dirigeons vers un véritable choc tarifaire. Pourquoi alors aggraver ce choc prévisible en supprimant l’interfinancement ? À elle seule, la fin de l’interfinancement ferait grimper la facture d’électricité des ménages de 185 $ à 367 $ par année1.
Le véritable défi de la transition énergétique n’est pas financier, il est social. Maintenir des tarifs d’électricité abordables n’est pas un luxe, c’est un pilier de l’inclusion sociale. Lésiner sur la solidarité aura un coût bien plus élevé que l’accompagnement des ménages, car en faisant porter le poids économique de la transition énergétique sur les ménages, nous courons le risque que la population se braque contre cette transition, ce qui compromettrait son succès2. Il ne s’agit en aucun cas d’un risque que nous pouvons nous permettre de prendre.
Et maintenant, on fait quoi ?
Pour toutes ces raisons, Union des consommateurs demande que l’article 30, qui rend possible la fin de l’interfinancement sur simple décision du gouvernement, soit retiré du projet de loi 69.
Avec les beaux jours et l’été qui s’installent, nous vous invitons à saisir l’invitation lancée par le ministre Fitzgibbon de discuter cet été de son projet de loi, et de la fin possible de l’interfinancement, avec vos amis, vos proches et votre voisinage… autour d’un barbecue !
1. Selon nos calculs faits à partir des données de Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, État de l’énergie au Québec 2024, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le gouvernement du Québec, 2024. 2. Voir notamment Shannon Osaka- The Washington Post, Les politiques climatiques peuvent pousser les électeurs vers l’extrême droite, Le Devoir, 17 mai 2024; Étienne Leblanc, Le climat, nouvelle arme électorale de l’extrême droite, Radio-Canada, 15 juin 2024 ;Félix Étienne, Les politiques écologistes vivent-elles un ressac?, Le Devoir, 16 juin 2024
Pour plus d’information:
Joanie Ouellette, analyste en enjeux économiques et énergétiques,
Union des consommateurs
À propos
Union des consommateurs regroupe 15 groupes de défense des droits des consommateurs. Elle a pour mission de promouvoir et de défendre les droits des consommateurs, en prenant en compte de façon particulière les intérêts des ménages à revenu modeste. Ses interventions s’articulent autour des valeurs chères à ses associations membres, soit la solidarité, l’équité et la justice sociale ainsi que l’amélioration des conditions de vie des consommateurs aux plans économique, social, politique et environnemental.