Simon Jolin-Barrette a à nouveau été choisi comme ministre de la Justice. Nous saluons sa nomination et l’invitons à prioriser, au cours de ce mandat, la protection des consommateurs et notamment l’amélioration de leur accès à la justice.
Si l’importance de la protection des consommateurs est aujourd’hui bien reconnue et que le travail législatif pour sa bonification se poursuit, on constate malheureusement que l’exercice des droits conférés aux consommateurs n’est toujours pas acquis. De nombreuses barrières continuent à se dresser devant ceux qui désirent avoir accès à la justice, et les consommateurs peinent encore à faire respecter leurs droits en cas de litige avec un commerçant.
Véritable course à obstacles
Imaginez la situation suivante: votre réfrigérateur tombe en panne après quelques années d’utilisation. L’appareil aurait dû fonctionner plus longtemps, mais la garantie du fabricant est expirée. Heureusement, la loi prévoit qu’un bien doit avoir une durée de vie «raisonnable» et que le commerçant est tenu de respecter cette garantie d’ordre public.
Vous tentez donc de négocier avec le vendeur pour régler le dossier, mais sa proposition de règlement est insatisfaisante. Vous ne pourrez pas vous passer de votre réfrigérateur bien longtemps, alors que faire? Accepter malgré tout l’offre du commerçant ou faire un achat ou une réparation à vos frais, pour demander ensuite devant le tribunal le remboursement de ces frais.
Mais qui le fait?
Délais et frais
Pour la majorité des consommateurs, entreprendre un recours en justice peut s’avérer une véritable course à obstacles: il faut trouver une information juridique adéquate présentée de façon compréhensible et utile, faire des démarches procédurales et se présenter éventuellement devant un juge. Cela peut être une source de confusion et de stress.
De plus, la situation ne sera pas résolue rapidement; parfois, la cour ne rendra pas sa décision avant des mois, voire des années. Enfin, aller au tribunal peut être coûteux: frais de justice, de transport, d’expert, revenus perdus en raison de l’obligation de s’absenter du travail pour se rendre au tribunal, etc.
Tout cela explique pourquoi de nombreux consommateurs ne feront tout simplement pas valoir leurs droits et vont encore payer le prix, pendant que des commerçants qui comptent sur cette complexité d’accès à la justice pour éviter les conséquences de leurs pratiques continuent de déroger à la loi. Et les personnes les plus vulnérables seront bien entendu les plus touchées.
Un tribunal de la consommation
Le temps est venu, selon nous, de penser autrement l’accès à la justice. Dans un état de droit comme le nôtre, il est essentiel d’assurer que les consommateurs sachent que les lois adoptées pour leur protection s’appliquent réellement et que les manquements pourront être corrigés, compensés ou sanctionnés par le biais d’un processus efficace et adapté qui donne accès, au besoin, à une instance décisionnelle.
Depuis plus de 10 ans, Union des consommateurs prône la création d’un tribunal spécialisé et adapté aux litiges de consommation comme moyen d’améliorer l’accès à la justice pour les consommateurs. À la suite de nos plus récentes recherches et vu l’avancée des possibilités technologiques, nous sommes convaincus que le moment est venu de créer un tel tribunal.
Un tribunal de la consommation entièrement en ligne permettra, selon nous, en mettant à contribution les bienfaits des modes alternatifs de règlement des litiges et en offrant un accompagnement adéquat aux consommateurs, d’abaisser un nombre important de barrières auxquelles ces derniers font face. De plus, un tel fonctionnement, qui pourrait s’inspirer de celui du Civil Resolution Tribunal de la Colombie-Britannique, serait mieux adapté aux litiges de consommation et répondrait aux besoins des consommateurs.
Le consommateur est un acteur économique important, mais vulnérable. L’accès aux moyens de faire valoir ses droits doit être considéré comme primordial et le travail en vue de garantir cet accès doit constituer une priorité.
Nous exhortons donc le ministre de la Justice, dans le cadre de son nouveau mandat, à donner la priorité à l’accès à la justice pour les consommateurs. Nous l’invitons à travailler dès maintenant à la mise en place d’un tribunal de la consommation en ligne, qui permettrait enfin aux consommateurs d’exercer et de faire respecter les droits que leur garantit en théorie la loi, et auxquels ils n’ont, en pratique, pas accès.
Cette lettre ouverte, signée Julia Atack, analyste en pratiques commerciales et protection du consommateur à Union des consommateurs, a été publiée par Le Journal de Montréal le 14 novembre 2002