Le gouvernement fédéral a glissé dans son projet de loi C-29 (Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en œuvre d’autres mesures) un projet de modification à la Loi sur les banques qui y ajouterait une déclaration unilatérale : la Loi sur les banques établit un régime complet et exclusif pour encadrer les relations des institutions avec leurs clients et le public relativement aux produits et services bancaires.
Il s’agit d’une nouvelle tentative du gouvernement fédéral d’écarter l’application des lois provinciales sur la protection du consommateur; depuis 2012, le préambule de la Loi sur les banques déclare en effet l’intention du fédéral de faire de cette loi un encadrement exclusif. Or, si la Loi constitutionnelle confie bel et bien au fédéral la compétence quant à la réglementation des banques, la protection du consommateur est pour sa part une compétence exclusive des provinces.
Quel serait à court terme l’effet d’une telle déclaration dans la Loi sur les banques sur l’applicabilité des lois provinciales? Cette modification ne devrait à notre avis en avoir aucun. En effet, il nous apparaît bien évident qu’il ne revient pas à un niveau de gouvernement de « déclarer » comment doit s’interpréter la constitution.
C’est d’ailleurs la position qu’avait adoptée Union des consommateurs lors de la première tentative du fédéral. Lorsqu’il s’agit de protection du consommateur, les prétentions d’Ottawa quant à l’exclusivité de son cadre réglementaire ne sont en réalité que cela : une prétention.
Les questions constitutionnelles, dont celles qui portent sur le partage des compétences, ne sont pas tranchées par les déclarations des législateurs, mais par la Loi constitutionnelle et, ultimement, par les tribunaux.
Dans une trilogie de décisions rendues en 2014, qui comprend notamment l’arrêt Marcotte, la Cour suprême du Canada réitère que, en vertu de la Loi constitutionnelle, la Loi sur la protection du consommateur du Québec s’applique aux banques comme à toute autre entreprise commerciale, malgré le fait que ces institutions financières soient soumises à la compétence fédérale. La Cour, qui insiste sur le «fédéralisme coopératif» dans le cadre duquel doit s’interpréter et s’appliquer le partage des compétences, rappelle que des lois édictées par les deux niveaux de gouvernement peuvent coexister sans mal à moins qu’une grave incompatibilité n’impose de déterminer laquelle de ces lois doit avoir prépondérance.
En vertu de ces interprétations par le plus haut tribunal et d’un courant très marqué en faveur d’une meilleure protection des consommateurs, il nous apparaît erroné de prétendre que les nouvelles dispositions de la Loi sur les banques rendront la Loi sur la protection des consommateurs du Québec invalide en cas de recours contre les grandes banques canadiennes, ou que les protections et les recours seront limités.
Si le projet de loi va de l’avant, les banques pourront certainement argumenter qu’elles ne sont plus soumises aux lois provinciales de protection du consommateur- remarquons qu’elles ont depuis longtemps cette prétention, que les tribunaux contredisent à répétition – et plaider que les décisions de la Cour suprême sur la coexistence des mesures de protection du consommateur ne trouvent plus application. Les tribunaux risquent fort de répéter, toutefois, que les deux cadres légaux ne sont pas incompatibles et que les banques sont donc toujours soumises aux lois de protection du consommateur adoptées par les provinces. Le véritable problème n’est donc pas l’invalidation des lois provinciales, mais les délais que provoqueront les nouvelles contestations, la suspension éventuelle des recours qui seront entrepris en vertu des lois provinciales, et la confusion que les arguments contradictoires risquent de provoquer dans l’esprit des consommateurs.
Les institutions financières verront dans ces nouvelles dispositions de nombreux avantages. Les rebuffades par les tribunaux, ces dernières années, et, pis encore, les condamnations à plusieurs millions de dollars de dommages à l’issue de recours collectifs représentent certes pour elles de cinglants camouflets. Elles se réjouiront donc en particulier de ce qu’elles considéreront comme la possible élimination des risques que représentent les recours collectifs. L’Association des banquiers canadiens se réjouit évidemment de ce qu’elle analyse justement comme la mise en œuvre de «principes de protection des consommateurs qui ne soient pas trop contraignants».
On peut par contre se demander ce qu’y gagneraient les consommateurs et, même, le gouvernement qui adopte une telle approche. Un gouvernement qui prétend s’engager fermement à mieux protéger les consommateurs devrait veiller à garantir que des recours utiles existent en cas de dommages ou en cas de violation de leurs obligations par les entreprises. Un gouvernement soucieux de bien protéger les consommateurs et d’assurer le bon fonctionnement des tribunaux devrait s’abstenir d’adopter des dispositions qui n’auront pour seul effet réel, dans un avenir prévisible, que de multiplier les contestations sur des questions constitutionnelles et d’embourber les tribunaux. Un gouvernement qui tente réellement de protéger les consommateurs veille à ne pas restreindre leurs droits et leurs recours, et à ne rien faire qui soit susceptible de leur donner l’impression qu’ils ont moins de droits et de recours que ceux dont ils disposent en réalité.
On pourrait aussi ajouter qu’un gouvernement qui nous a promis une nouvelle ère et des voies lumineuses qui passent par ce même « fédéralisme coopératif » que prône la Cour suprême devrait veiller à éviter de braquer les provinces avec ce genre de faux pas, qui ressemble à un mépris des compétences provinciales et qui nous semble fort peu diplomatique.