Dans une décision expéditive, le CRTC a rejeté hier la demande de la coalition Franc-Jeu/Fairplay. Ce regroupement largement mené par Bell demandait la mise en place d’un régime de blocage de sites Web susceptibles de donner accès à du contenu qui contreviendrait aux lois sur le droit d’auteur.
Comme de nombreux autres intervenants au pays, Union des consommateurs s’était vivement opposée à une telle proposition qui menaçait la neutralité du Net, principe fondamental de l’Internet libre et ouvert défendu au Canada, et dont la procédure à l’emporte-pièce n’offrait aucune réelle garantie procédurale avant le blocage.
Malgré un lobby intense de la part de la coalition et après avoir reçu environ 10 000 interventions individuelles (le CRTC fait état de 150 000 interventions, incluant les signataires de pétition) en opposition au projet de la coalition, le CRTC a conclu hier que les lois dont il est chargé de l’application ne l’autorisent pas à mettre en place ou à autoriser un tel système de blocage.
Le Conseil ne s’est pas laissé berner par l’argumentaire juridique boiteux de la coalition qui tentait d’instrumentaliser la Loi sur les télécommunications au profit des détenteurs de droits d’auteur. Le Conseil confirme que le problème soulevé et le régime proposé relèvent de toute évidence de l’application de la Loi sur le droit d’auteur, une loi qui n’est pas de son ressort, et qu’ils ne pouvaient être sérieusement rattachés aux objectifs de la Politique canadienne de télécommunications, qui visent notamment l’accès à des services de télécommunications sûrs, abordables et de qualité et la protection de la vie privée des utilisateurs de services de télécommunications.
Le CRTC confirme également que l’article 36 de Loi, qui garantit la neutralité du Net au pays, permet certes des exceptions, mais que le régime proposé allait trop loin. En réaffirmant la portée restreinte des exceptions possibles, le Conseil réitère une nouvelle fois toute l’importance du droit des internautes à la neutralité du Net.
Le Conseil se prononce au passage sur le rôle des fournisseurs de service d’accès Internet, dont plusieurs sont à l’origine du présent dossier. Ces fournisseurs, tels que Bell et Vidéotron, sont expressément exemptés des responsabilités relatives au respect des droits d’auteur en raison de leur statut d’intermédiaire; ils fournissent l’accès à Internet, mais ne sont pas responsables de ce que leurs usagers font en ligne, de ce qu’ils consomment ou diffusent. Dans ces conditions, il semble difficilement justifiable de leur faire jouer un rôle de shérif sur Internet, comme le proposait ni plus ni moins la coalition Franc-jeu.
Il est malheureusement à prévoir qu’une proposition similaire soit une nouvelle fois mise de l’avant par Bell et ses alliés, cette fois dans le cadre de la réforme des lois sur les communications au pays, dont les travaux préparatoires ont déjà débuté. Espérons que le gouvernement rejettera à son tour sans équivoque cette proposition qui mettrait assurément à mal la neutralité du Net, et qui, selon plusieurs, entraînerait de sérieuses violations aux droits et libertés garantis par les chartes.
CRTC: Décision de télécom CRTC 2018-384 (lien externe)
Voir aussi: Une proposition qui menace à la neutralité d’Internet, UC, 14 février 2018