Une coalition du nom de « Franc Jeu Canada » largement menée par Bell et qui regroupe entre autres Rogers, Québecor, Cineplex, Guzzo et des représentants des industries artistiques, a récemment demandé au CRTC de mettre sur pied un système de blocage de sites qui pourraient contenir du contenu « piraté ». À partir d’une liste noire développée par une agence du gouvernement fédéral sur la base de dénonciations par les membres de l’industrie, Bell, Vidéotron, Rogers (et autres) qui seraient autorisés à bloquer l’accès à une variété de sites, et ce, sans aucune supervision judiciaire préalable.
Pourquoi est-ce problématique ?
Tous s’entendent pour dire que les artistes et les créateurs doivent être payés pour leur travail. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Canada possède déjà des lois très rigoureuses en matière de piratage, qui comptent parmi les plus sévères au monde.
À partir d’une étude à la méthodologie pour le moins douteuse, la coalition peint au CRTC le portrait d’un milieu culturel canadien qui serait en crise en raison du piratage. La réalité est pourtant tout autre, comme le rapporte Michael Geist dans une série d’article sur le sujet :
- Des données de 2016 font plutôt état d’un niveau de piratage historiquement bas au Canada, bien en deçà des moyennes européennes et mondiales. Ironiquement, l’échange de contenu « piraté » par réseau peer-to-peer (P2P) aurait diminué de près de 70% sur les réseaux de Bell en 2015 ;
- La production d’émissions de télévision et de films canadiens était en hausse de 16% en 2017 ;
- Les revenus de la SOCAN, la plus importante organisation de l’industrie canadienne de la musique, sont en hausse de 8% cette année (et l’augmentation des revenus générés par les services de streaming Internet a été de 460 %).
Il serait insensé de permettre aux compagnies de télécommunication de contrôler l’accès à Internet ou à quelque contenu que ce soit. Un éditorial du Globe & Mail a d’ailleurs qualifié leur plus récente proposition d’attaque frontale aux libertés en ligne, jugeant qu’elle serait potentiellement inconstitutionnelle.
Leur proposition met en danger la neutralité d’Internet, un principe voulant que les fournisseurs de services Internet ne favorisent pas ou ne discriminent pas le contenu en ligne en raison de son origine, de son format, de sa teneur, de son idéologie ou de sa destination. Il s’agit là d’un des fondements d’un Internet libre et ouvert qu’il faut défendre haut et fort face à cette proposition qui créerait un dangereux précédent!
Si les autorités estiment qu’un site Internet ou un contenu accessible en ligne est illégal, il est possible, dans le cadre d’un processus équitable, impartial et désintéressé, de faire fermer ce site ou retirer son contenu. Permettre aux fournisseurs, à l’extérieur d’un tel processus, d’interdire l’accès à ces sites ou ces contenus sur la base de simples allégations d’illégalité apparaît totalement inacceptable.
Et il faut le faire savoir aux décideurs.
Union des consommateurs a d’ailleurs déposé ses observations au CRTC.
Vous souhaitez en savoir plus ? Union des consommateurs vous propose trois sources d’information intéressantes sur le sujet. Elles sont malheureusement toutes en anglais.
- Michael Geist, professeur de droit spécialisé en droit de l’Internet et du commerce électronique, a réalisé une série d’articles sur la proposition de la coalition, accessibles sur son blogue : http://www.michaelgeist.ca/ Les données que nous mentionnons plus haut proviennent d’ailleurs principalement de l’un de ses récents articles.
- L’étude du Fonds des médias du Canada publiée en novembre 2017 qui examine le marché mondial des médias, et notamment l’impact de l’abonnement à des services de vidéo ou de musique sur demande sur les atteintes aux droits d’auteur de contenu.
- L’étude de Music Canada publié en 2017 qui traite de l’écart de valeur au Canada, soit la disparité qui existe entre la valeur du contenu auquel accèdent les consommateurs, les modes d’accès (radiodiffusion, téléchargement, streaming, etc.) et les revenus qui sont réacheminé aux créateurs.